Portrait d’une chercheuse de l’UNC, Anne-Laure Dotte.

Mieux connaître notre richesse linguistique pour mieux la protéger.

Elle analyse dans le plus grand détail chaque composante des langues kanak, à la recherche de leurs spécificités. Anne-Laure Dotte est maîtresse de conférences en linguistique océanienne. Ses travaux visent à mieux connaître notre patrimoine linguistique pour mieux le valoriser.

 

Je suis une mécanicienne de la langue. Je démonte le moteur pièce par pièce et j’essaie de comprendre comment il fonctionne, mais mon but n’est pas de savoir conduire. Un linguiste n’a pas besoin de savoir parler toutes les langues qu’il étudie.Anne-Laure Dotte découvre le métier de linguiste à 14 ans, via une émission télévisée. “J’ai entendu l’interview d’un linguiste et ça m’a vraiment interpellée. Je ne savais pas que ce métier existait ”, se souvient-elle.

Après son bac, la jeune Calédonienne part étudier les sciences du langage à Toulouse, puis à Montréal. Pendant ses vacances à Nouméa, en 2017, elle assiste à une conférence de Claire Moyse-Faurie, linguiste qui travaille depuis quarante ans sur les langues kanak et les langues de Wallis-et-Futuna. Cette rencontre-là m’a marquée. Ma voie était tracée pour le master. Pourquoi chercher à travailler sur des langues parlées ailleurs ? Cela faisait sens de me spécialiser dans les langues du pays ”, résume Anne-Laure Dotte.

 

L’évolution du iaai

Après son master, elle enchaîne donc avec une thèse qu’elle consacre au iaai, l’une des deux langues parlées à Ouvéa (Le iaai aujourd’hui). Objectif : étudier les évolutions dans la langue. Cette langue avait déjà été décrite dans les années 1970. Nous avions donc un recul de quarante ans pour observer ses évolutions. Certains changements sont spontanés car les langues sont vivantes. Mais d’autres changements peuvent être liés à l’influence du français ”, détaille la maîtresse de conférences. Ses travaux ont permis de montrer que le iaai avait à la fois connu des évolutions spontanées, mais aussi que la transmission était de moins en moins assurée auprès des jeunes.Comme toutes les langues kanak, le iaai a longtemps été dévalorisé, donc au niveau de la grammaire, certaines catégories propres à cette langue vont se perdre plus vite ”, observe-t-elle.

Par exemple, le iaai possède plus de vingt expressions différentes pour exprimer la possession, quand le français n’en possède que deux, l’un au masculin, l’autre au féminin : “ mon ” et “ ma ”. “ En iaai, le pronom possessif change en fonction du rôle de l’objet. On n’utilisera pas le même mot pour parler de “ mon ” poisson que j’ai mangé, de “ mon ” poisson que j’ai pêché, ou encore de “ mon ” poisson domestique ”, liste Anne-Laure Dotte. Peu de langues possèdent cette richesse, mais elle est en train de se perdre (Dynamism and change in the possessive classifier system of Iaai). Les locuteurs simplifient à l’extrême et ne gardent que la classe générique, en se calant sur le modèle du français.

 

Collaboration internationale

Après avoir soutenu sa thèse en 2013, Anne-Laure Dotte intègre l’Université de la Nouvelle-Calédonie en 2015 avant d’être recrutée comme maîtresse de conférences deux ans plus tard. “ C’est un parcours assez atypique dans le monde de la recherche, dans le sens où il est assez linéaire. J’ai eu beaucoup de chance. En général, c’est un peu plus compliqué que cela ”, reconnaît la chercheuse.

Elle poursuit alors son travail sur le iaai au sein d’un projet international, mené avec Michael Franjieh, de l’Université de Surrey, au Royaume-Uni. “ Nous avons comparé le iaai et le nêlêmwa, parlé à Poum, avec quatre langues vanuataises, dont Michael Franjieh est spécialiste. Toutes ces langues possèdent de nombreuses classes de possession ”, expose Anne-Laure Dotte.

 

Les langues et l’environnement

Le projet touche à sa fin. Les deux chercheurs ont déjà publié une partie de leurs travaux dans des revues internationales (Implementing free-listing: possessive classifiers in Oceanic). Ils ont également travaillé sur des outils et jeux qui seront distribués aux familles, enseignants ou associations locales. Objectif : valoriser ces possesseurs si particuliers à la langue pour qu’ils continuent d’être utilisés.

Outre ses projets à long terme, Anne-Laure Dotte s’est aussi investie dans l’étude du lien entre les langues et l’environnement : le changement climatique change-t-il nos langues ? On peut établir un lien entre la perte de diversité biologique et la perte de diversité linguistique. Il faut essayer de le comprendre et de réfléchir à des solutions communes à deux domaines, estime la chercheuse. L’autre jour, nous avons reçu un mail d’un jeune enseignant de province Nord. Il constate qu’autour de lui, les parents ne parlent plus la langue à leurs enfants, et il écrit à l’UNC pour demander ce qu’on peut faire. C’est angoissant car c’est déjà trop tard si la dernière génération ne parle plus la langue. Mais ce mail montre que l’UNC est identifiée comme une institution pouvant donner des réponses., Nous avons un rôle à jouer dans la sauvegarde des langues ”, conclut-elle.

Portrait d’Anne-Laure Dotte
Terrain Iaai : © Michael Franjieh
Terrain Poum : © Michael Franjieh

 

Partager Facebook Twitter Linkedin Mieux connaître notre richesse linguistique pour mieux la protéger. Elle analyse dans le plus grand détail … Lire la suite