Quelle est la qualité nutritive des poissons que l’on mange ? Quel est le ratio risques-bénéfices quand on mange du poisson ? Ce ratio évoluera-t-il avec le changement climatique ? L’ambitieux projet TONIC entend répondre à toutes ces questions d’ici trois ans.
“Dans un projet précédent, nous avons pu mesurer les concentrations de certains contaminants – métaux et pesticides – sur un échantillon de poissons de récif, grâce à un financement du LABEX CORAIL. Ces travaux ont servi de levier pour faire une proposition plus large, qui dépasse la question des contaminants. Avec le projet TONIC, nous voulons mettre en perspective la valeur nutritionnelle et énergétique des poissons, avec cette question des contaminants, puis celle du réchauffement climatique”, résume Yves Letourneur, porteur du projet et professeur en écologie marine à l’Université de la Nouvelle-Calédonie (UNC). Le projet TONIC a été financé par l’Agence Nationale de la Recherche. Outre l’UNC, il inclut des partenaires locaux, comme l’Ifremer et l’IRD, mais aussi des partenaires régionaux, nationaux et internationaux.
Un rapport bénéfices – risques
Dès l’obtention des crédits, en mars 2022, le premier volet du projet est lancé grâce à la thèse de Noreen Wejieme. “Il s’agit de faire la part des choses entre les bénéfices de la consommation de poisson, qui fournit des Omega 3 par exemple, et les éventuels risques de cette consommation, avec parfois la présence d’éléments traces métalliques comme le mercure. Mais attention il faut bien faire la part des choses : certains métaux comme le zinc ou le fer sont utiles et même nécessaires à l’organisme”, précise Yves Letourneur. Pour ce faire, Noreen Wejieme a effectué plusieurs prélèvements dans le Grand lagon Sud avec l’aide de collègues de l’IRD. “L’objectif, c’est d’avoir environ 350 individus, répartis sur une soixantaine d’espèces, décrit-elle. Les poissons sont ensuite lyophilisés et broyés. Puis les échantillons sont passés dans une machine appelée HPLC-MS en partenariat avec NC Bio ressources qui identifie et quantifie les acides gras (oméga 3, oméga 6 etc.), les acides aminés, les vitamines, etc.”
Un travail sera également mené sur des échantillons de Polynésie, avec les collaborations sur place, pour mettre l’accent sur des individus de quelques espèces mais provenant d’habitats contrastés. Puis, la base de données obtenue avec le précédent projet sur les contaminants sera analysée. À l’issue de ce travail, une extrapolation pourra être faite sur l’ensemble des communautés de poissons et ce dans différentes îles du Pacifique (Nouvelle-Calédonie incluse). “Nous devrions pouvoir prédire la valeur nutritionnelle et les contaminants que l’on peut trouver dans 100 grammes de poisson perroquet à Fidji par exemple, tout en ayant une idée correcte de l’incertitude autour de cette valeur prédictive”, annonce Yves Letourneur.
L’impact du mercure et du glyphosate
Le deuxième volet du projet TONIC se fait en collaboration avec l’Ifremer, à la station aquacole de Saint Vincent. “Nous cherchons à déterminer dans quelle mesure la contamination au mercure et au glyphosate peut affecter les picots rayés et les pouattes”, présente Yves Letourneur. L’équipe étudie l’évolution de la croissance des juvéniles et la fertilité des poissons en fonction de la quantité de mercure et de glyphosate injectée dans l’alimentation. L’expérience est bien sûr menée en circuit fermé, sans rejet dans le lagon. “Les picots rayés, herbivores, et les pouattes, carnivores, sont deux espèces d’élevage dont le cycle de reproduction est bien maîtrisé et pour lesquelles nous pouvons obtenir assez facilement des individus, ce sont donc deux espèces modèles intéressantes”, poursuit-il. Outre la conséquence sur la biologie de ces poissons, l’équipe cherche également à mesurer si une faible ou une forte contamination au mercure et au glyphosate a un impact sur la valeur nutritionnelle du picot rayé et du pouatte. Il faudra attendre la fin de l’année pour connaître les résultats globaux.
L’effet du réchauffement climatique
Le troisième et dernier volet du projet TONIC cherchera à faire des prédictions sur la valeur nutritive et les contaminants dans les poissons, en fonction des différents scénarios climatiques. “Il y a peu de littérature sur ce sujet, mais il semblerait que la qualité de l’habitat ait un impact sur la qualité nutritionnelle de certaines espèces. Un cas a déjà été étudié aux Seychelles”, relève le professeur en écologie marine. Un récif corallien dégradé ou dominé par les algues peut-il modifier la quantité de vitamines ou d’oméga 3 présente dans les poissons ? Pour le savoir, l’équipe du projet TONIC s’appuiera sur les résultats de la thèse de Noreen Wejieme et sur les travaux menés par l’Ifremer à la station Saint Vincent. “Nous allons utiliser des outils mathématiques de modélisation pour prédire l’impact de l’élévation de la température de l’eau sur la valeur nutritionnelle de certaines espèces récifales”, détaille-t-il. Autrement dit, quel sera l’impact du réchauffement climatique sur la qualité nutritionnelle de nos poissons ? Il faudra un peu de patience pour connaître la réponse, qui est attendue fin 2025.