Les mangroves au cœur des enjeux climatiques

De la Guyane à Ouvéa, les mangroves doivent s’adapter aux changements climatiques. Les études menées par Cyril Marchand, professeur en science de la Terre et de l’environnement à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, contribuent à la conservation de ces écosystèmes précieux.

« Les palétuviers ont une très grande capacité à capter le CO2 qui est un gaz à effet de serre », explique Cyril Marchand, professeur en sciences de la Terre et de l’environnement à l’Université de la Nouvelle-Calédonie. En effet : les sols de mangrove peuvent contenir 10 à 100 fois plus de carbone qu’une forêt classique. Cela en fait « un des écosystèmes les plus efficaces pour atténuer les changements climatiques », selon le scientifique, qui étudie le sujet depuis 1999 à travers le monde. Aujourd’hui, les travaux qu’il coordonne en Nouvelle-Calédonie contribuent directement à la préservation de ces écosystèmes précieux pour les populations du littoral.


Une recherche portée par les enjeux environnementaux et sociétaux

 

La recherche sur les mangroves est étroitement liée à l’évolution de la considération pour les enjeux environnementaux. A la fin des années 1990, l’intérêt pour cet objet d’étude est encore balbutiant. « On considérait que les mangroves étaient inutiles, que c’était un nid à moustiques, que ça sentait mauvais, et partout dans le monde, elles ont été dégradées », notamment sous l’effet de l’urbanisation et de l’aquaculture, détaille Cyril Marchand. « En 2006, nous publions avec plusieurs chercheurs un article dans la revue Sciences pour alerter sur un monde sans mangroves. »  Leurs travaux contribuent à une prise de conscience : ces écosystèmes protègent de l’érosion, elles sont à la base de la chaîne alimentaire des milieux marins côtiers tropicaux, abritent de nombreuses espèces animales, servent de nurserie à différents poissons, filtrent les eaux…

 

« On estime aujourd’hui que la mangrove est l’écosystème qui rend le plus de services aux humains », poursuit Cyril Marchand. « Cette notion de service écosystémique correspond à une approche ethnocentrée de la nature qui peut être critiquée. Mais elle permet de quantifier les choses : un hectare de mangrove peut valoir plusieurs milliers de dollars. » Il permettra en effet de développer la pêche, protéger le trait de côte, et de nombreuses entreprises investissent dans de vastes projets de restauration de la mangrove en Asie, afin de faire baisser le bilan carbone de leur activité…

 

 

Changements climatiques : des menaces localisées

 

La mangrove de St-Joseph, dans le Nord d’Ouvéa. © J-M. Boré / IRD (extrait du documentaire Mana’o Comprendre l’adaptation des mangroves)

Les mangroves ont ainsi pu être préservées dans de nombreuses régions du monde, et couvrent 75 % du littoral des régions tropicales. Elles doivent cependant faire face à un nouveau défi : celui des changements climatiques.

Au premier abord, celui-ci pourrait présenter un paramètre favorable au développement des mangroves. A l’échelle de la planète, les écosystèmes ont tendance à couvrir de plus grandes superficies du fait de l’augmentation des températures. Une étude sous serres au Mont-Dore a montré que la croissance des palétuviers était accrue avec l’augmentation des concentrations atmosphériques en dioxyde de carbone.

 

Mais la montée des eaux, un autre paramètre lié au réchauffement climatique, peut avoir des conséquences négatives localisées. « Elle pousse les mangroves à reculer dans les terres, ce qui n’est pas toujours réalisable », explique le professeur.

 

 

Ouvéa : une mangrove particulièrement vulnérable

 

L’équipe de recherches Mana’o étudie le sol de la Mangrove de St Joseph dans le Nord d’Ouvéa. © J-M. Boré / IRD (extrait du documentaire Mana’o Comprendre l’adaptation des mangroves)

Avec la pression démographique et l’urbanisation des littoraux, les mangroves perdent cette capacité d’adaptation et disparaissent aux abords des villes. Les recherches menées actuellement par Cyril Marchand en Nouvelle-Calédonie sont au centre de ces enjeux climatiques. Il s’est intéressé aux mangroves urbaines, notamment à Dumbea-sur-Mer. Cependant, son principal terrain de recherche se trouve actuellement à Ouvéa : la mangrove de Saint-Joseph. Cette mangrove d’île basse représente un milieu tout aussi vulnérable que les mangroves des villes face à la montée des eaux. Une problématique partagée par de nombreux pays insulaires d’Océanie ou des Caraïbes.

 

À Ouvéa, quelques dizaines de millimètres d’augmentation du niveau des océans pourraient compromettre la survie de la mangrove d’ici quelques dizaines d’années. Avec une équipe internationale de chercheurs (Australie, Singapour, Nouvelle-Zélande, Etats-Unis), Cyril Marchand s’intéresse par exemple à l’adaptation des sols. Sur la grande terre, certaines mangroves reçoivent suffisamment de sédiments des rivières pour compenser la montée des eaux. Mais ce n’est pas le cas pour la mangrove d’Ouvéa. Il s’agit désormais de vérifier cette hypothèse dans la durée, et de comparer les adaptations de différentes zones géographiques à travers la planète.

 

« Quand on travaille sur les changements climatiques, il faut récolter des séries de données relativement longues pour pouvoir en tirer des conclusions, explique Cyril Marchand. On multiplie les sources de financement sur un même site et une même thématique pour obtenir des données plus complètes, faire des expériences complémentaires et avoir une meilleure compréhension de ce qu’il peut se passer au sein de l’écosystème. »

 

Mieux comprendre la mangrove pour mieux la préserver

 

Ainsi, le site d’Ouvéa intéresse une deuxième étude financée par l’agence nationale de la recherche, portée par le CNRS, en collaboration avec l’IRD et différentes universités. Le projet Tropecos permettra de comparer la mangrove de St Joseph avec d’autres terrains en Guyane, au Brésil, aux Antilles ou au Vietnam. Tout l’enjeu consiste à mesurer le cycle du carbone de ces mangroves, dans des contextes bien différents de biodiversité, de climat, ou encore d’impacts humains.

 

Autrement dit : cette étude permettra de mieux déterminer les paramètres qui influencent la capacité des mangroves à capter le carbone. Et aussi l’évolution des mécanismes biogéochimiques avec le changement climatique.

 

Par exemple : la décomposition des matières organiques en humus produit des acides. A Ouvéa, il s’agit d’évaluer dans quelle mesure ce phénomène peut contribuer à dissoudre la roche calcaire sur laquelle reposent les palétuviers. Selon Cyril Marchand, la mangrove de St Joseph « subit un double impact : un très faible apport de sédiment et une disparition de son substrat sous l’effet de l’acide humique. » Les résultats de ces recherches feront l’objet de prochaines publications.

 

En complément de l’apport scientifique, les travaux sur la mangrove doivent permettre de mieux la préserver. Cyril Marchand partage ses résultats avec différents acteurs qui œuvrent dans la restauration : « Potentiellement, dans le cas d’Ouvéa, il s’agirait de voir si l’on peut faire des aménagements ou planter des espèces qui résisteraient mieux à la hausse du niveau des océans. »

 

 

 

 

 

 

 

 

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