Quelles formes peut prendre l’État pour s’adapter à la société ? Comment tenir compte des singularités territoriales d’un point de vue du droit ? C’est le fil rouge des recherches de Léa Havard, maîtresse de conférences en droit public et directrice adjointe du LARJE.
« La répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales d’Outre-mer : c’était le titre de mon mémoire de Master, à l’Université de Bordeaux. Sans que je le sache à l’époque, c’était le début de ma spécialisation », raconte Léa Havard.
En 2011, elle entame son doctorat sous la direction de Ferdinand Mélin-Soucramanien, avec le même fil rouge. Son sujet : « L’État associé. Recherches sur une nouvelle forme de l’État dans le Pacifique Sud ». La doctorante identifie cinq États associés dans le Pacifique : les Îles Cook, Niue, les États fédérés de Micronésie, les Îles Palaos et les Îles Marshall. « J’ai établi que l’État associé n’est pas une nouvelle déclinaison de l’État nation, c’est une nouvelle forme d’État. Il comporte trois éléments centraux : son peuple est un peuple complexe et non pas une nation ; sa souveraineté est déléguée ; il repose sur une constitution associative qui a une dimension de traité », liste-t-elle.
Son doctorat mène une réflexion sur l’État au début du 21e siècle. « Aujourd’hui, l’État est conçu partout dans le monde – ou presque – sur le modèle théorique de l’État nation, qui est une modèle européen. Mais ce modèle est parfois remis en question car il apparaît à la fois trop petit à l’échelle de la mondialisation et trop grand à l’échelle des identités locales », résume la chercheuse.
« Sans jugement de valeur »
Alors qu’elle planche sur ces modèles océaniens, son chemin croise bien entendu celui de la Nouvelle-Calédonie, même si le territoire n’est pas le sujet de sa thèse. « C’est compliqué parfois de faire comprendre que mon travail n’a rien de politique. Je ne fais pas l’apologie de l’État associé. Je mène un travail objectif qui vise à expliquer comment cela fonctionne, de façon technique, sans émettre de jugement de valeur », précise-t-elle.
À la même époque, Ferdinand Mélin-Soucramanien et Jean Courtial sont chargés de produire un rapport sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, en vue du premier référendum. Léa Havard se voit confier les recherches documentaires préalables, par le Ministère des Outre-mer. En 2012, elle assiste au Xe comité des signataires à Paris. En 2016, pour la première révision de la liste électorale spéciale, deux missionnaires de l’ONU manquent à l’appel. Léa Havard est appelée par le cabinet du Premier ministre pour remplacer au pied levé l’un d’entre eux, comme personnalité indépendante. « C’était complètement improbable, mais passionnant », se souvient-elle. Deux ans plus tard, elle fait partie de la mission de contrôle pour l’organisation du premier référendum. « Toutes ces missions n’étaient pas directement liées à ma thèse, mais cela m’a permis d’avoir un pied sur le terrain », commente-t-elle.
Droit autochtone
Après son doctorat, Léa Havard intègre l’Université de Bordeaux en tant que maîtresse de conférences en droit public. Puis en 2019, elle rejoint l’Université de la Nouvelle-Calédonie, en délégation. « C’était assez naturel de me retrouver sur mon terrain de recherche », souligne-t-elle.
La chercheuse poursuit également des recherches portant sur le pluralisme juridique entamées durant sa thèse : comment prendre en compte les cultures juridiques autochtones dans le cadre de l’État ? Un sujet travaillé en étudiant le cas du Burundi et du Canada. « Comment l’État peut-il s’adapter pour prendre en compte les sociétés autochtones et leurs particularités ? L’État ne doit pas s‘imposer à la société mais émaner de la société pour espérer vivre de façon harmonieuse », décrit-elle.
La citoyenneté
La maîtresse de conférences a aussi procédé à une analyse juridique des trois référendums et par exemple de la fameuse question : l’accord de Nouméa est-il caduc ou reste-t-il en vigueur ? « J’ai pu établir que le processus d’émancipation porté par l’accord de Nouméa est arrivé à son terme, c’est-à-dire que tous les mécanismes prévus ont été actionnés, tels que le transfert de compétences, le rééquilibrage et l’organisation des référendums. En revanche, l’accord lui-même – qui prévoit l’organisation institutionnelle du territoire avec un congrès, un gouvernement collégial et différentes listes électorales, cet accord-là reste en vigueur. Aucune clause ne prévoit sa caducité », résume-t-elle.
Plus récemment, Léa Havard a été sollicitée pour écrire dans un ouvrage collectif. Elle a choisi de dresser le bilan des vingt-cinq ans de la citoyenneté calédonienne. Cet outil juridique a-t-il fonctionné ? « La citoyenneté calédonienne avait pour objectif de faire émerger un peuple calédonien. Mais il y a un décalage entre les textes – donc le droit constitutionnel – et la réalité. Peu de marqueurs nous font dire qu’il y a un peuple calédonien aujourd’hui. Le droit peut participer à modeler la réalité, mais ce n’est pas un outil magique. Dès le départ, le sens donné à cette citoyenneté n’était pas partagé par tous les Calédoniens. Pour certains, cette citoyenneté allait devenir une nationalité, pour d’autres elle leur permettait d’avoir un statut spécifique dans la France. Cet échec était plus ou moins programmé », observe-t-elle.