Dans un laboratoire de l’Université de la Nouvelle-Calédonie, Nicolas Lebouvier et son équipe reproduisent des conditions environnementales contrastées pour étudier les adaptations des végétaux. Ces recherches en chimie intéressent de nombreux domaines : de l’agriculture à l’industrie biomédicale.
D’ici une cinquantaine d’années, la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère pourrait être multipliée par deux sous l’effet de l’activité industrielle. Cette valeur, représentant environ 0,08 % de l’air que l’on respire, resterait sans conséquences notables sur l’organisme humain. Mais qu’en serait-il pour les végétaux ? Le CO2 constitue un élément fondamental dans le mécanisme de photosynthèse responsable de leur développement.
Afin de répondre à ce type de questionnements, des conditions de culture hors normes ont été reproduites dans les locaux de l’Institut de Sciences Exactes et Appliquées (ISEA) de l’Université de la Nouvelle-Calédonie. Nicolas Lebouvier et son équipe s’intéressent aux effets des pressions environnementales sur les organismes vivants, et plus particulièrement aux effets du changement climatique.
« Celui-ci a un impact important sur les plantes et notamment sur leur composition moléculaire », explique le maître de conférences en chimie des substances naturelles. Quand le taux de CO2 varie, mais aussi la température ou la pluviométrie, les végétaux doivent s’adapter. Afin d’observer ces réactions, Nicolas Lebouvier compare différentes conditions environnementales en laboratoire. Il s’intéresse plus particulièrement au comportement des métabolites, ces molécules spécifiques à chaque plante ou chaque famille de plante, qui ont lentement évolué au fil des siècles afin de leur permettre de mieux s’adapter à leur milieu naturel.
Ainsi, quand le thym martiniquais (Plectranthus amboinicus) manque d’eau, il va avoir tendance à produire davantage de substances volatiles, et notamment d’huiles essentielles, utilisées comme une barrière de protection face à ses agresseurs.
Anticiper l’impact du climat sur les plantes
« Notre but prioritaire c’est de voir si le changement climatique ne va pas modifier de façon trop importante la composition moléculaire des plantes, et essayer de trouver des alternatives pour limiter cet impact », développe Nicolas Lebouvier. Dans le cas des plantes médicinales, ces modifications environnementales peuvent faire varier la concentration de certains principes actifs. Son augmentation entraine un risque de surdosage dans l’utilisation de ces remèdes. À l’inverse, les principes actifs peuvent aussi perdre en efficacité si leur concentration diminue.
En Nouvelle-Calédonie, cet axe de recherche recoupe divers enjeux scientifiques et économiques. Il fait l’objet d’un travail de thèse mené par Wahnyalo Kazöne, afin de « mieux comprendre l’impact du changement climatique sur le métabolome des plantes aromatiques et médicinales tropicales ». Autrement dit : comprendre comment les principes actifs de plantes couramment exploitées peuvent évoluer dans les décennies à venir sous l’effet de facteurs environnementaux.
En complément, cette étude essaie de mesurer si les plantes ne pourraient pas bénéficier d’un allié naturel pour mieux résister. Il s’agit d’une variété de champignons qui vit en symbiose avec les systèmes racinaires : les champignons mycorhiziens à arbuscules.
Une recherche au service du développement
Au regard des enjeux climatiques à venir, un tel projet fédère de nombreuses actrices et nombreux acteurs, parmi lesquelles une entreprise privée. La startup AuraPacifica est spécialisée dans la production de ces champignons qui permettent d’optimiser la croissance des plantes en limitant l’utilisation de produits de synthèse.
On retrouve aussi l’Institut Pasteur, intéressé par les avancées en matière de recherche biomédicale. Si les stress environnementaux peuvent booster les mécanismes de protection de certaines plantes, ils peuvent améliorer la production de principes actifs connus pour leurs propriétés médicinales. C’est par exemple le cas des curcumines. Ces pigments, qui donnent une couleur orangée au curcuma, sont bien connus pour leurs propriétés anti-inflammatoires. Leur concentration est étroitement liée aux variations de facteurs climatiques, actuellement scrutés de près dans les locaux de l’ISEA.
« Un facteur environnemental défavorable pour une plante peut aussi présenter un intérêt dans une logique de production de principes actifs, qui seront utilisés pour différentes applications », relève Nicolas Lebouvier. Dans un premier temps, le chimiste stimule une multitude de réactions naturelles. Son objectif est de comprendre les mécanismes chimiques des plantes dans leur complexité, car ils impliquent davantage un cocktail de molécules en interaction, appelé le métabolome, qu’un seul et unique métabolite. Une fois les réactions chimiques mises à jour, le résultat de ces recherches peut servir des objectifs très variés.
L’effet des métaux sur l’aquaculture calédonienne
Ainsi, le travail de thèse mené par Vincent Mériot, en partenariat avec l’Adecal et l’Ifremer, intéresse tout particulièrement la filière aquacole. Il étudie une espèce de micro-algues (Heterocapsa cf. bohaiensis) responsable d’importantes mortalités de crustacés en Chine, et également observée dans l’environnement calédonien. L’un des principaux enjeux de ces recherches consiste à identifier les conditions de toxicité de cette algue.
Des micro-algues en culture dans un photo-bioréacteur du laboratoire Ifremer / Adecal. © Vincent Mériot
Dans le cadre ce ces travaux, l’équipe de recherche s’intéresse aux effets des métaux naturellement présents dans l’environnement marin de la Nouvelle-Calédonie, sous l’effet du lessivage des sols par temps de pluie.
« Les métaux ont des propriétés oxydantes importantes. Donc derrière, les organismes en contact vont répondre de manière à limiter ce stress oxydatif qui altère le fonctionnement des cellules », explique Nicolas Lebouvier.
Là encore, un facteur environnemental néfaste à l’état naturel, peut présenter des opportunités dans une logique de valorisation. En présence de métaux tels que le fer ou le nickel, certaines espèces de micro-algues produisent des acides gras aux propriétés anti-oxydantes, tels que les oméga 3 ou les oméga 6. Ces résultats intéressent l’Adecal, en vue du développement d’une filière de production de micro-algues pour l’alimentation des crevettes. En stimulant la production d’acides gras bénéfiques, les métaux peuvent devenir un allié de la filière. Comme souvent en chimie : tout est une affaire de dosage.
Des micro-algues sont mises en contact de métaux naturellement présents dans l’environnement afin d’observer leurs réactions. © Thierry Jauffrais