Crevette bleue du Pacifique : les bactéries pourraient être la cause de la forte mortalité larvaire dans les écloseries, mais aussi le remède
Depuis presque 20 ans, la Nouvelle-Calédonie est confrontée à une forte mortalité larvaire dans les écloseries qui alimentent les fermes de crevettes du territoire. Sans explication à ce jour. Pendant 3 ans, Carolane Giraud a étudié les communautés bactériennes associées aux élevages larvaires. Sont-elles responsables du fort taux de mortalité des larves ? C’est ce que la doctorante a cherché à savoir.
Le coupable n’est ni un pathogène bactérien, ni un pathogène viral, ni même une déficience génétique des larves de crevettes. De précédentes études l’ont déjà démontré. Où se cachent donc les indices qui pourraient expliquer la forte mortalité que connaissent les élevages larvaires dans les écloseries du territoire ? Carolane Giraud a choisi comme terrain d’enquête les communautés bactériennes, associées aux élevages larvaires. Elle a notamment cherché à comprendre si un déséquilibre de ce microbiote était à l’origine de cette mortalité inexpliquée.
“ Pour cela, nous avons réalisé une série de prélèvements dans quatre écloseries du territoire, à chaque stade du développement larvaire, expose Carolane Giraud. Lorsqu’on suit un élevage, on prélève tous les jours l’eau du bac d’élevage, mais aussi les larves, leur nourriture ou encore l’eau du lagon pompée en amont des élevages. Le développement de la larve dure dix jours, on sait donc rapidement si l’élevage est en bonne santé ou s’il a connu un fort taux de mortalité. ” Plus de 800 échantillons sont ainsi prélevés au cours de la thèse de Carolane Giraud, et soumis à une technique appelée Metabarcoding
Identifier les bactéries grâce à l’ARN
Au cours de cette procédure, de l’ARN est extrait des échantillons, puis il est rétro-transcrit en ADN. “ L’ADN est ce qui contient le matériel génétique. Pour exprimer ce matériel, l’ADN est transcrit en ARN, qui délivre le message. On compare souvent l’ADN à un livre, et l’ARN à sa photocopie, explique Carolane Giraud. L’ADN est persistant dans le temps, il peut ainsi contenir des traces d’organismes déjà morts. Notre matière de base est donc l’ARN qui est plus “ actif ”, mais on a besoin de le rétro-transcrire en ADN pour pouvoir l’étudier. ”
Pour ce faire, la recette n’est pas des plus simples. Pour les échantillons d’eau, le liquide est filtré, puis la matière ainsi récoltée passe par plusieurs solutions afin d’extraire l’ARN. Il faudra ensuite le rétro-transcrire en ADN pour commencer à rechercher les fameuses bactéries.
“ L’ADN est séquencé en ciblant le gène codant pour l’ARNr 16S. C’est lui qui nous permet d’identifier les bactéries, puis, plus précisément d’identifier leur genre, et ainsi les distinguer les unes des autres, via un processus de bio-informatique ”, détaille Carolane Giraud.
Cette identification permet ainsi de comparer ce qu’il se passe au niveau bactérien dans les élevages en bonne santé et dans ceux qui connaissent un fort taux de mortalité. “ On a réussi à identifier plusieurs communautés bactériennes qui sont plutôt enrichies dans les élevages en bonne santé et d’autres communautés bactériennes qui sont plutôt enrichies dans les élevages en mauvaise santé. Autrement dit, on ne retrouve pas les mêmes bactéries selon l’état de santé de l’élevage ”, conclut-elle.
Des bactéries pour “ guérir ” les élevages ?
L’hypothèse des bactéries comme explication du fort taux de mortalité semble donc prometteuse. “ Nous avons réussi à caractériser ce qu’il se passait quand ça n’allait pas bien et ce qu’il se passait quand ça allait bien. Les communautés de bactéries présentes dans les élevages en bonne santé pourraient-elles être administrées aux élevages en mauvaise santé, sous forme de probiotiques ? C’est ce qu’il faudrait désormais étudier ”, poursuit Carolane Giraud, qui a soutenu sa thèse avec succès au mois d’avril 2023.
Grâce à ses travaux, des communautés de bactéries ont été identifiées dans les élevages en bonne santé, mais ces bactéries n’étaient pas forcément les mêmes à chaque stade de développement des larves. “ Peut-être faut-il administrer ces bactéries sous forme de cocktail, ou peut-être faut-il administrer certaines bactéries à un certain stade de développement, puis administrer d’autres bactéries au stade suivant. Cela va demander beaucoup de recherches complémentaires ” relève Carolane Giraud. C’est aussi une alternative aux antibiotiques qui se dessine avec ses premiers résultats.
Fiche d’identité Titre de la thèse de doctorat : « Dynamique des communautés procaryotiques actives dans les élevages larvaires de la crevette bleue du Pacifique, Penaeus stylirostris : influence des intrants et identification de biomarqueurs bactériens de la santé des larves » Auteur : Carolane Giraud Direction de thèse : Nazha Selmaoui Folcher, professeure à l’Université de la Nouvelle-Calédonie et Viviane Boulo, chargée de recherche à l’Ifremer. Encadrement : Nolwenn Callac et Nelly Wabete, chargées de recherche à l'Ifremer.
Photo : larves de crevettes vues au microscope