L’UNC continue sa série de portraits de chercheurs avec, à quelques jours des 80 ans de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe, un focus sur notre collègue Fanny Pascual, historienne spécialisée sur cette période. En Europe, ce conflit marque l’une des pages les plus sombres de l’histoire contemporaine. Mais en Nouvelle-Calédonie, la Seconde Guerre mondiale est empreinte d’une image positive. L’historienne Fanny Pascual, maitresse de conférences à l’UNC, s’intéresse aux oublis de ce récit collectif pour mettre en perspective les enjeux de la société d’aujourd’hui. Découvrez la vidéo et l’article ci-dessous.
Le 8 mai 2025 marque les 80 ans de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe et quelques mois plus tard, le 2 septembre, la fin de la guerre dans le Pacifique. D’un front à l’autre, l’historienne Fanny Pascual s’est spécialisée sur cette période de l’histoire. Avant de devenir maîtresse de conférences à l’université de la Nouvelle-Calédonie, elle avait consacré son travail de thèse à un sujet éloigné de son île natale : les commandos du Special Air Service britannique.
Une guerre qui implique l’ensemble de la société

Pour elle, la Seconde Guerre mondiale représente une guerre d’intelligence. « Il y avait une guerre frontale et une guerre non frontale, avec de l’espionnage, de la collaboration et une implication de la société civile. » En d’autres mots : travailler sur la Seconde Guerre mondiale permet d’éclairer l’ensemble des enjeux de société de l’époque.
Cette dimension invisible du conflit donne aussi lieu à beaucoup de fantasmes et de mythes, comme l’illustre le cas du Special Air Service. Ce commando britannique a été révélé dans les années 1980 avec l’attaque de l’ambassade d’Iran en plein Londres. Le grand public découvre alors l’existence de cette unité d’élite fondée en 1941, pour mener des actions spécifiques aux forces spéciales, de type guérilla.
Durant des années, la presse contribue à l’écriture du mythe du SAS et aucun historien ne se saisit réellement de ce sujet. « L’idée de mon travail, c’était de mettre en parallèle tout l’imaginaire collectif autour de ce commando et la réalité, de comprendre qui étaient réellement ces soldats, s’ils étaient des surhommes ou des Monsieur tout le monde qui pouvaient le devenir à force de conviction, etc. »
Une empreinte positive dans l’histoire calédonienne
En 2013, Fanny Pascual rejoint l’université de Nouvelle-Calédonie comme maitresse de conférences en histoire contemporaine. Ce qui la frappe en reprenant ses travaux dans le Pacifique, c’est l’empreinte positive laissée par la Seconde Guerre mondiale, à l’inverse des représentations européennes. « Pour ce conflit, ce sont les armées alliées qui se sont installées en Nouvelle-Calédonie et ce fut un bouleversement. Parce que cet extérieur nous a amené toute l’ouverture au monde : l’ouverture à la culture, à l’actualité, aux technologies, à la politique… Ces transformations seraient arrivées un jour mais on dit que les guerres accélèrent l’histoire », développe l’historienne. En se réappropriant tout un nouveau corpus de connaissances, bien loin des références historiques européennes, Fanny Pascual s’attache là-encore à démêler le mythe de la réalité.
Explorer l’envers du mythe
Pour ce faire, la chercheuse calédonienne met en lumière des aspects moins reluisants de « cette histoire qui a déjà été mythifiée ou qui est imprégnée dans le collectif mémoriel calédonien ». C’est avec la responsabilité scientifique du musée de la Seconde Guerre mondiale en Nouvelle-Calédonie, inauguré en 2013, qu’elle développe ses premières pistes de recherche. Par la suite, son travail sur l’engagement des femmes est particulièrement révélateur de cette approche. Elle s’intéresse au parcours des « Raymondes » (Raymonde Jore et Raymonde Rolly), qui sont envoyées en 1941 à Londres pour intégrer l’état-major du général de Gaulle. Ses travaux lui permettent alors de découvrir qu’une centaine d’autres femmes calédoniennes ont postulé, sans succès, pour s’engager à l’époque.

« C’est important de montrer que les femmes font partie de notre histoire, ne serait-ce que pour donner des modèles, susciter des vocations pour les jeunes filles aujourd’hui », explique Fanny Pascual, qui prépare actuellement un ouvrage sur les figures féminines de l’histoire calédonienne.
Au-delà des femmes, son approche l’amène à éclairer bien d’autres phénomènes oubliés de l’histoire calédonienne. Derrière l’image positive du bataillon du Pacifique et de la contribution calédonienne à la Libération, Fanny Pascual rappelle que le pétainisme était bien présent dans la colonie. Certains anciens combattants restaient souvent attachés à la figure du Maréchal qui les avait menés à la victoire lors de la précédente guerre. Quant à l’économie calédonienne, elle était extrêmement liée aux intérêts ennemis que ce soit en Indochine, en France métropolitaine ou en lien avec les Japonais, comme le développe l’historienne.
Pour elle, tous ces sujets tabous doivent être revalorisés pour contribuer à la construction de la société calédonienne. « C’est important de ne pas oublier ces choses-là. J’ai l’habitude de dire que l’historien est le psychologue de la société. Il aide à comprendre où on en est aujourd’hui et à ne pas idéaliser le passé. L’homosexualité par exemple, était cachée par l’armée américaine qui voyait en eux une faiblesse incompatible avec l’enjeu de victoire. Ils étaient considérés comme des fous et internés. »
Dans le même ordre d’idées, Fanny Pascual documente la présence de maisons closes, « dont on sait peu de choses sur les femmes qui y travaillaient parce qu’on est sur une petite île où tout le monde se connaît… ». Quant à la ségrégation raciale, elle était bien à l’œuvre dans l’armée américaine. On raconte souvent en Nouvelle-Calédonie que la présence de sous-officiers noirs laissait imaginer aux kanak une Amérique plus inclusive des minorités. Mais cette représentation masque là encore la réalité.
« Il faut savoir qu’à l’époque, les sous-officiers noirs ne pouvaient commander que des soldats noirs. Il y avait deux sociétés parallèles aux États-Unis mais certainement pas une plus grande inclusion. » À titre d’exemple : ces soldats afro-américains ne pouvaient pas fréquenter les maisons closes, ni les mêmes lieux de culte ou la même cantine que les soldats blancs.
Le patrimoine bâti : témoin de la transformation de la société calédonienne

Au-delà des questions sociétales, Fanny Pascual s’intéresse au patrimoine bâti. Par exemple, il reste très peu de traces de la présence américaine dans les quartiers Sud de Nouméa, « alors que ce sont les Américains qui ont façonné les quartiers Sud ». Les demi-lunes ont fait les frais de leur image de « boîtes de conserves », à l’inverse d’un patrimoine jugé plus prestigieux, tel que les maisons coloniales ou les bâtiments du bagne.
« Ces marqueurs-là sont importants parce qu’ils nous rappellent les périodes, les idéologies, les difficultés, les liens avec d’autres peuples… », considère l’historienne. Les demi-lunes ont accueilli les premiers logements HLM de Nouvelle-Calédonie au Receiving, et dessinent une continuité entre les enjeux de développement de l’époque et d’aujourd’hui.
Conserver pour transmettre : l’historienne à l’interface du grand public
« On ne fait pas de l’histoire pour soi mais aussi pour la faire connaître aux autres et aider la société à avancer », poursuit Fanny Pascual. C’est pourquoi la Calédonienne s’inscrit toujours dans une démarche de restitution de ses travaux au grand public lors des nuits des musées ou des mois du patrimoine, en plus des premières expositions temporaires du musée de la Seconde Guerre mondiale dont elle est la commissaire scientifique.
Fanny Pascual participe aussi à différents projets de conservation. Par exemple, elle est intervenue auprès de la mairie de Nouméa pour maintenir une trace des vestiges de l’ancienne clinique de l’Anse-Vata, qui risquaient d’être détruits dans le cadre d’un projet de réaménagement urbain. Il s’agit « probablement l’un des tout derniers hôpitaux de la guerre du Pacifique encore debout », souligne l’historienne. Ses arguments parlent aux élus. Résultat : trois charpentes en acier resteront visibles au milieu du nouveau parc de jeux pour enfants et seront valorisées par des panneaux explicatifs. Elles permettent de se souvenir que la Nouvelle-Calédonie était une importante base hospitalière de la guerre du Pacifique.
« Ça raconte aussi toute l’avancée technologique qu’a connu la Nouvelle-Calédonie d’un point de vue médical avec les radios, les avancées du point de vue dentaire, etc. », développe l’historienne. « Des Calédoniens s’y sont fait soigner par radio notamment après des accidents de voiture et y ont côtoyé des GI qui revenaient des grands combats du Pacifique. Un hôpital, c’est aussi un lieu de rencontres où on va trouver des histoires métissées. »
