La semaine dernière, du 28 au 30 mars, le CSIRO (organisme gouvernemental australien pour la recherche scientifique et l’innovation) organisait, à Nouméa, un séminaire sur l’économie bleue regroupant de nombreux chercheurs internationaux et de collègues du CRESICA. Pour l’UNC, le professeur Cyril Marchand y faisait une présentation sur le cycle du carbone et les émissions de gaz à effet de serre dans les mangroves. L’occasion de faire un focus sur ce milieu si emblématique de la Nouvelle-Calédonie.
Capteur de carbone, nurserie de poissons, protection naturelle contre l’érosion… La mangrove est un écosystème unique, aux multiples vertus. C’est pour cela que Cyril Marchand a décidé d’en faire sa priorité. Après avoir effectué une thèse sur les mangroves de Guyane, le chercheur a été recruté par l’IRD pour travailler sur les mangroves de Nouvelle-Calédonie et du Vietnam. Il est maintenant Professeur des Universités en Sciences de la Terre et de l’Environnement à l’Université de la Nouvelle Calédonie et nous a partagé son savoir sur ce bijou de la nature.
Des conditions de vie difficiles
« Au niveau mondial, il n’existe que 60 à 70 espèces de palétuviers » explique le professeur Cyril Marchand. Ce n’est pas beaucoup, parce que l’environnement dans lequel évolue les mangroves est stressant. Il y a très peu de plantes qui arrivent à se développer dans l’eau de mer : entre la salinité de l’eau, la houle et les vagues qui génèrent une contrainte physique, et le manque d’oxygène dans le sol, ce n’est pas simple d’y vivre. C’est en Papouasie Nouvelle-Guinée et en Indonésie qu’on retrouve le plus de mangroves, car le climat est idéal pour leur développement.
En Nouvelle-Calédonie, nous hébergeons 25 espèces de palétuviers. Cependant, une grande partie d’entre eux, situés sur la Côte Ouest, souffrent du climat semi-aride. On le remarque à cause de leur faible croissance, qui s’explique par le manque de pluviométrie : lorsqu’il ne peut pas beaucoup, le sel apporté par l’eau de mer n’est pas dilué par la pluie et se concentre. En conséquence, la salinité du sol augmente. Les palétuviers dépensent beaucoup d’énergie à lutter contre cette salinité, et cette énergie n’est pas dépensée pour leur croissance. Les mêmes arbres dans des conditions différentes, par exemple dans un climat tropical humide, peuvent faire jusqu’à 20 mètres, alors qu’ils ne font que 2 mètres sur le territoire.
Aquaculture et disparition des mangroves
Entre 1980 et 2000, près de 50% des mangroves mondiales ont disparu. En cause, l’aquaculture. « En Asie, en Afrique et en Amérique du Sud, les mangroves ont été rasées pour construire des bassins aquacoles, décrit le chercheur. Souvent, les pratiques aquacoles n’étaient pas optimales et la qualité du fond de bassin se dégradait rapidement. Les responsables faisaient donc le choix de raser à côté, pour construire de nouveaux bassins, sans pour autant restaurer les anciens bassins en replantant de la mangrove. »
Par chance, nous n’avons pas reproduit cette erreur en Nouvelle-Calédonie. « Les bassins aquacoles ont été construits en arrière de la mangrove, explique Cyril Marchand. Néanmoins, les palétuviers sont utilisés comme des filtres. Un bassin aquacole fonctionne un peu comme un aquarium : il faut renouveler l’eau pour qu’il y ait une bonne concentration d’oxygène. Les fermes aquacoles rejettent donc en continu de l’eau dans la mangrove ce qui modifie les équilibres écologiques et peut avoir un impact sur les écosystèmes. »
Une autre problématique propre à notre territoire, c’est celle des mines. « Lorsque la pluviométrie est forte, cela crée de l’érosion sur les bassins versants : si les mines en activité sont censées avoir des bassins de rétention et de décantation, ce n’est pas forcément le cas des mines enfouies ou abandonnées. Il y a tout de même une quantité de sédiments qui arrive sur le littoral et qui se retrouve piégée dans la mangrove. »
Une plante aux multiples rôles
Pourquoi est-ce si important de protéger la mangrove ? « La mangrove est un écosystème qui peut servir de filtre entre la terre et la mer, explique Cyril Marchand. Les palétuviers ont une capacité à absorber certains composés chimiques, des contaminants, pour les utiliser pour leur croissance. » Cette capacité filtrante permet notamment de protéger le lagon face aux composés qui résultent de l’activité minière.
De plus, les palétuviers ont une forte capacité de photosynthèse : « ils prennent le CO2 dans l’atmosphère et le stocke sous forme de bois, de feuilles et de système racinaire. Mais à la différence d’une forêt classique, les sols de mangrove sont gorgés d’eau, ce qui augmente le temps de décomposition des feuilles. Les stocks de matière organique sont donc très importants. » La mangrove est ce qu’on appelle un écosystème à carbone bleu, c’est-à-dire un puit de carbone provenant de la mer.
Autre aspect essentiel, la mangrove protège le littoral de l’érosion et des catastrophes naturelles. « Lors du tsunami de 2004 en Asie du Sud-Est, les villages qui étaient derrière la mangrove ont été préservés » affirme Cyril Marchand. Pour le Vietnam, cet évènement été un électrochoc. « Ils avaient beaucoup dégradé leurs environnements naturels et littoraux, et se sont aperçus de l’intérêt de préserver les écosystèmes quand il y a eu des catastrophes naturelles, explique le chercheur. Maintenant, ils construisent des digues artificielles devant lesquelles ils replantent plusieurs centaines de mètres de mangroves. Cela leur fait une double barrière. ». Enfin, la mangrove est également une nurserie pour les poissons et les requins : en préservant les mangroves, on permet un renouvellement des stocks de poisson, et on améliore notre résilience alimentaire.
Par son action, la mangrove nous rend des services écosystémiques : c’est un service rendu par la nature qui facilite la vie de l’homme. Mais ce terme est remis en question. « C’est une vision un peu anthropocentrée de la nature puisqu’on considère qu’elle doit nous rendre des services, et que si on la préserve, c’est parce qu’elle est utile à l’homme, explique Cyril Marchand. Mais cela permet d’avoir des arguments économiques face à des collectivités qui pourraient ne pas avoir conscience de l’intérêt de l’écosystème. »
Après l’aquaculture, le conflit d’espace
« Si par le passé, la principale cause de disparition des mangroves était l’aquaculture, c’est maintenant l’urbanisation combinée à la hausse du niveau des océans. » explique le chercheur. En effet, le niveau de la mer augmente, ce qui fait reculer les mangroves sur les terres, terres déjà occupées par la population. Il y a donc un conflit d’espace. Et face aux humains, la mangrove est perdante. « Le niveau de l’océan a toujours varié, et les mangroves se sont toujours adaptées. Aujourd’hui, elles auront du mal à s’adapter puisqu’en arrière des mangroves, il y a de grandes villes. » complète Cyril Marchand. La capacité d’adaptation des mangroves est assez extraordinaire. En deux ans de Niña, les chercheurs remarquent que les palétuviers ont beaucoup grandi.
Cyril Marchand a vu de nombreuses mangroves au cours de sa carrière. Mais pour lui, pas de doute, la plus belle se situe en Nouvelle-Calédonie : « La mangrove située à Saint-Joseph, au nord d’Ouvéa, est magnifique, parce qu’elle est très préservée et uniquement liée à une tribu. J’aimerais qu’elle devienne un centre de référence international pour le suivi des mangroves dans un contexte de changement climatique. »
Publireportage réalisé par Kim Jandot pour l’UNC